Publié le xx/xx, mis à jour le xx/xx
Proposition d'un cadre descriptif du jeu : le modèle MMADE
La description formelle d'un jeu en vue de son analyse peut se faire par l'intermédiaire d'un modèle (ou framework en anglais). Un exemple notoire est le modèle MDA (pour « Mechanisms-Dynamics-Aesthetics »). Cet article propose une version alternative de ce modèle, plus adapté selon moi aux spécificités du jeu de société.
1. L'original : le modèle MDA
Le modèle MDA et la place centrale du joueur
Le modèle MDA a été proposé dans l'article MDA: A Formal Approach to Game Design and Game Research1, publié par Robin Hunicke, Marc LeBlanc et Robert Zubek en 2004. 1 MDA: A Formal Approach to Game Design and Game Research, Robin Hunicke , Marc Leblanc , Robert Zubek, 2004
L'objectif pour ses auteurs est de faciliter la description formelle des différents composants d'un jeu pour simplifier son analyse et les échanges à son sujet. Il peut, toujours selon ses auteurs, bénéficier autant aux métiers du game design, qu'à l'approche critique ou à un travail de recherche.
Le modèle MDA identifie trois couches de composants d'un jeu :
- Mechanics (qu'on traduira ici par « Mécaniques ») : la règle du jeu, ce qu'elle permet et interdit ;
- Dynamics (qu'on traduira ici par « Dynamique ») : le comportement sucité chez le joueurs, ses stratégies, les intercations entre joueurs ;
- Aesthetics (qu'on traduira ici par « Esthétique ») : les émotions ressenties par le joueur. Les auteurs de l'article en identifient 8.
Pour ses auteurs, l'un des buts de cette décomposition est de rappeler aux créateurs de réfléchir leur jeu en fonction des émotions qu'ils souhaitent provoquer chez le joueur.
Forces et limites du modèle MDA
Le modèle MDA met fortement l'accent sur l'expérience vécue par le joueur au cours du jeu. Les deux derniers termes embrassent en effet l'appropriation des règles du jeu par le joueur (Dynamics) et le ressenti qui résulte de l'expérience ludique (Aesthetics). Deux dimensions que les auteurs du jeu stimulent mais ne maîtrisent pas. Seul le joueur se saisit ou non de leur proposition d'expérience.
Le modèle MDA se positionne ainsi dans la perspective d'une étude du « Play », plutôt que dans l'analyse traditionnelle des jeux concentrée sur le « Game ».2
Se faisant, il associe dans un seul composant générique (Mechanics) des éléments aussi divers que les éléments matériels du jeu (pions, écrans, controlleurs, etc.), ses ingrédients graphiques, sonores, sa dimension narrative. Le cadre proposée par les auteurs permet ainsi de mettre l'accent sur les sensations de jeux vécues par les joueurs mais ne détaillent pas réellement les composantes du jeu lui-même.
2. Une alternative : The elemental Tetrad selon Jesse Schell
Les 4 éléments du jeu
Dans son ouvrage de référence du game design, The Art of Game Design: A Book of Lenses3, Jesse Schell identifie quand à lui quatre composants d'un jeu : 2 The Art of Game Design: A Book of Lenses, Jesse Schell, 2008
- Aesthetics (qu'on traduira ici par « Esthétique ») ;
- Story (qu'on traduira ici par « Histoire ») ;
- Mechanics (qu'on traduira ici par « Mécaniques ») ;
- Technology (qu'on traduira ici par « Technologie »).
La première chose à noter est qu'il utilise le mot « Aesthetics » dans un sens tout à fait différent de celui du modèle MDA. Il évoque ici l'exposition sensorielle du joueur au jeu : les visuels du jeu, le son, le matériel tactile et même l'odeur ou le goût.
Le terme « Technology » enfin est trop réducteur à certaines catégories de jeux, vidéoludiques (ou forains dans l'expérience profesionnelle de Jesse Schell). Il faut l'élargir à toutes les composantes matérielles du jeu.
En distinguant le contexte sensoriel du jeu et ses mécaniques, Jesse Schell introduit une distinction qui n'existait pas dans le modèle MDA. Il replace le corps et les sens du joueur dans le cadre de l'expérience ludique.
Les étages de la narration
Par « Story » l'auteur explicite la trame narrative mise en place par le game designer pour immerger le joueur dans l'expérience. Cependant, tous les jeux ne bénéficient pas d'un récit organisé ; c'est le cas des jeux abstraits notamment. Par ailleurs, le terme « histoire » me semble trop générique : le game designer propose bien un « récit » récit mais l'« histoire », telle que vécue par les joueurs, est le résultat de la somme des composants du jeu. Les mécaniques, par exemple, participent elles aussi à la création d'une histoire cohérente. On voit ici que l'histoire n'est pas un ingrédient du jeu mais plutôt sa trame globale, autant introduite par le jeu que réappropriée par les joueurs.
Je rejoins en cela l'avis de Paul Ralph et Kafui Monu, qui dans leur article A Working Theory of Game Design, Mechanics, Technology, Dynamics, Aesthetics & Narratives4 font de la narration une composante qui se déroule à chacune des étapes du jeu. Ils proposent ainsi une relecture du cadre MDA en y introduisant la composante Technology en association avec celle des Mechanics, fournissant ainsi un début de réponse ma propre critique du cadre MDA, laissant dans l'ombre les éléments tangibles du jeu.
4 A Working Theory of Game Design, Mechanics, Technology, Dynamics, Aesthetics & Narratives, Dr. Paul Ralph & Dr. Kafui Monu, 2014, source3. Une proposition : le modèle MMADE
Un modèle plus complet
Mes tentatives d'utiliser les deux approches ci-dessus pour décrire formellement un jeu de société n'ont pas été concluantes. Je propose donc un modèle alternatif, fortement inspiré du modèle MDA mais sous une forme enrichie : le modèle MMADE.
Le modèle MMADE est en cours de réflexion et se décompose pour le moment de la sorte :
- Mise en scène : mise en place du contexte du jeu, son univers et son récit, par l'intermédiaire des visuels, de l'écriture, de l'ambiance sonore, etc. ;
- Matériel : moyens tangibles du jeu (les pièces du jeu de société, l'interface et les controlleurs dans le cadre du jeu vidéo, les autres joueur pour une expérience ludique collective) ;
- Règle : actions autorisées dans le cadre du jeu, explicitées par une règle ou par le jeu lui-même.
- Actions : actions réalisées par les joueurs au cours du jeu, dans le cadre des mécaniques autorisées par la règle ;
- Dynamique : réactions et interactions émergentes entre le joueur, le jeu et les autres joueurs ;
- Émotions : émotions suscitées par l'expérience ludique.
Les deux derniers composants (Dynamique et Émotions) sont directement reprise du modèle MDA. Le premier composant du modèle MDA (Mécaniques) est ici décomposé en 3 aspects distincts. Les deux premiers sont davantage parallèles que successifs : le caractère tangible (Matériel) et sensible (Mise en scène) du jeu.
Une lecture par le prisme du joueur
Les composants du modèle MMADE sont disposés dans l'ordre de leur découverte et appropriation par le joueur (à l'image de ce que proposait déjà le modèle MDA) :
- Mise en scène : le joueur prend connaissance de la communication autour du jeu, il découvre la boîte, l'univers narratif, les visuels, etc. ;
- Matériel : le joueur ouvre la boîte et en sort son matériel ;
- Règles : les actions autorisées par le jeu sont explicités à la lecture de la règle ou découverte du jeu ;
- Actions : le joueur réalise ses propres actions de jeu permises par la règle ;
- Dynamique : la pratique du jeu entraîne une dynamique d'interactions ;
- Émotions : émotions internes du joueur.
Comme dit plus haut, les places respectives de la Mise en scène et du Matériel pourraient tout à fait être échangées. Ou plus exactement, leur rang devrait être le même dans la séquence, tant il est impossible pour le joueur de séparer la découverte du matériel et de sa mise en scène.
Le modèle MMADE enrichi
Je disais plus haut que l'histoire (Story pour Jesse Schell) était un résultat du jeu plus qu'un de ses composant essentiels. Il est ainsi possible d'enrichir le modèle MMADE en y indiquant deux dimensions supplémentaires :
L'Histoire est le résultat de l'intéraction de l'ensemble des composants du joueur. Plus que l'histoire interne du jeu, c'est l'histoire de la partie qui est inscrite ici. Pour le dire autrement, il s'agit de la description de l'Expérience ludique.
Il est également possible de réintroduire les dimensions du Game (proposition ludique des auteurs) et du Play (appropriation du joueur) en distinguant deux dimensions au sein du composant Actions : les actions permises par la règle et les actions réellement menées par les joueurs. On peut également évoquer cette séparation comme celle distinguant le périmètre régi par les règles et l'espace de liberté laissé au joueur.